• En Marge

    Elle descendait le long de la rue, son visage emmitouflé comme à l'habitude. Seuls ses yeux ressortaient réellement, tels deux billes rondes et vertes, deux billes qui avalaient tout. Elle observait avec avidité, fascinée, en proie à une admiration sans borne. Son regard s'accrochait aux vitrines telle une enfant qui aurait aperçu en période de noël, une poupée magnifique. N'était ce d'ailleurs pas le cas ? N'était Elle pas une sorte de petite fille dont le corps aurait grandi trop vite ? Sinon, pourquoi tant d'extase ?

    Le froid mordant la piquait, mais peu importe, elle marchait toujours, toujours captivée... Elle ralentit même un peu lorsqu'Elle passa à la hauteur d'une boutique qui vendait du thé et des biscuits. Une odeur de gingembre et de jasmin parfumait l'air et de jolies guirlandes encadraient un écriteau où l'on pouvait lire en lettres manuscrites «  Joyeux Noël ».

    Mais Elle avait déjà atteint le bas de la grande avenue et du à contre cœur s'engouffrer dans le dédalle de petites ruelles. Ce changement du tout au rien, de la lumière à l'obscurité, de la joie des passants au silence et à la tristesse des vieux immeubles...  Cette mutation si brève, et si récurrente l'atteignait chaque jour, et la frappait toujours. « Tout vient de ton obsession à t'émerveiller pour un rien !  – se lamentait sa mère – Si seulement tu restais terre à terre, si seulement tu pouvais comprendre et être comme les autres ! Toujours soit trop triste, soit trop heureuse ! Le lunatisme est un défaut, idiote ! ».
    Peut être avait elle raison, peut être que si Elle ne « s'émerveillait pas pour un rien », le choc du retour serait moins dur... Peut être qu'Elle ne serait pas atteinte par ce chagrin quasi systématique quand Elle revenait dans le réel...

    Ses mains tremblaient et ses clefs lui échappèrent. Il faisait déjà nuit mais Elle ne chercha pas à éclairer le petit perron. Tâtonnant Elle finit par les retrouver, les enfonça dans la serrure et effectua une pression légère sur la porte qui grinça de façon sinistre.

    Elle monta les escaliers en colimaçon aux marches usées par le temps, s'abandonnant à ses pensées déprimantes et à ses rêves qui l'étaient eux aussi par leur utopie.

    Puis Elle s'arrêta au sixième étage.

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    Elle referma précautionneusement la porte, essayant d'être le plus silencieuse qu'Elle le pouvait ; déposa sur le bar de la cuisine son sac à main recouvert de perles, et commença à enlever sa longue écharpe qui la couvrait des épaules jusqu'au nez quand Elle l'aperçut.

    Accoudée au bar, Elle avait une vue presque panoramique sur le salon et par conséquent sur le grand canapé de velours. M. s'y était encore endormi... Sûrement un journal ou un livre devait joncher le sol pour avoir glissé de sa main lorsque trop fatiguée elle avait succombé au sommeil. Mais peu importe, pour Elle, à cet instant plus rien d'autre ne comptait à part la beauté d'M. Elle ne comprenait toujours pas comment il était possible qu'Elle logeât dans le même appartement que pareille nymphe. Lorsqu'Elle essayait de se remémorer comment Elle l'avait rencontrée, ses souvenirs se brouillaient : Elle ne se rappelait plus ce qu'Elle lui avait dit ni comment... C'était comme si une multitude de mots doux et maladroits s'enchevêtraient dans son esprit déjà trop tordu. Non, Elle n'arrivait pas à se souvenir d'autre chose que son entrée... Ce soir là M. portait une robe de satin noir dont le décolleté vertigineux avait retenu l'attention  de plusieurs hommes. Ses cheveux eux aussi d'un noir de jais, ondulaient légèrement formant par endroit de fines boucles... Et son regard si perçant, ses lèvres si rouges...

    Elle se souvint alors de la première fois qu'elle l'avait vu nue. Elle se souvint de sa poitrine parfaite semblable à deux poires généreuses, sucrées et douces... Elle se souvint de ses hanches à la courbe impeccable qu'on aurait cru dessinées par la main d'un artiste... Elle se souvint de sa main agile et de ses doigts longs, fins, gracieux, eux aussi irréprochables...

    Et restant plongée dans de tels souvenirs, Elle observait légèrement accoudée au bar, la femme qu'Elle aimait depuis deux ans, sept mois et huit jours... Cette beauté divine qu'Elle aurait chérie plus que tout au monde si Elle n'était pas tant maladroite et fragile.



    Alors Elle entra dans la salle de bain et se dévêtit. Et face au grand miroir Elle s'observa, aussi minutieusement que les décorations de noël de la grande avenue, mais avec autant de dégoût qu'Elle avait d'admiration pour M.

    Elle prit entre deux doigts une de ses mèches de cheveux fins à la couleur terne. Puis regarda son visage trop petit au joues un peu creuses. Son long cou faisait ressortir ses épaules trop décharnées et la médiocrité de sa poitrine... Ses jambes si longues rendaient ses fesses encore plus plates... Et son corps maigre trahissait sa fragilité trop cassante.

    Alors Elle décida de s'asseoir sur le carrelage glacial, et quand une larme s'écrasa lourdement sur le sol il lui sembla entendre la voix de sa mère :

    « Pourquoi je n'adresse plus la parole à ma fille ? Laide, bête, délicate, utopiste, lesbienne, susceptible, dégoutante ... Trop en marge ! »

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  • Commentaires

    1
    Samedi 9 Février 2008 à 12:34
    elle
    est triste cette histoire snif :( mais elle est belle en même temps :) mange des crèpes au nutella, plein, tu verras ça remonte bien le moral (même si ça ne dure qu'un temps), bisous
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